12

 

 

Cet homme n’existe pas, déclara de but en blanc Schaeffer. Nous avons pour le moment utilisé toutes les ressources à notre disposition, cherché dans toutes les bases de données auxquelles nous avons accès et, techniquement, cet Ernesto Cabrera Perez n’existe pas. Aucune personne de ce nom n’a jamais mis les pieds aux États-Unis. Il n’y a pas de numéro de Sécurité sociale, pas de passeport, pas de permis de travail ni de visa... absolument rien. »

Woodroffe, le visage impassible, s’assit en silence à côté de Schaeffer.

« La mort de Silvino, en revanche, ça, c’est vérifiable », reprit Schaeffer, comme s’il s’agissait d’un prix de consolation.

Hartmann s’adossa à sa chaise et croisa les mains derrière sa tête. Il sentait poindre un début de migraine et essayait de se concentrer pour le faire disparaître. Il ne pensait pas y parvenir. L’après-midi touchait à sa fin, et Perez avait parlé presque sans interruption. Ils avaient fait une pause-déjeuner vers 13 heures et, entre deux questions, Perez avait émis des commentaires sur la qualité de leur repas.

Plus tard, après la fin de son monologue, il avait été une fois de plus escorté au Royal Sonesta par ses deux douzaines de gardes du corps.

« Mais je ne vois pas le rapport avec Shakespeare », déclara Schaeffer.

Hartmann haussa les épaules d’un air indifférent. « Je suppose qu’il cherche juste à nous montrer qu’il n’est pas ignorant, dit-il. Dieu sait ce qu’il a pu vouloir dire, mais vous pouvez être certain que ça va occuper vos collègues du siège à Quantico pour le restant de la semaine. »

Schaeffer sourit. Hartmann fut surpris de découvrir qu’il avait le sens de l’humour.

« Et maintenant ? demanda Hartmann.

— Bon Dieu, qu’est-ce que j’en sais ? Si on prenait le reste de la journée, pour aller voir un film ou quelque chose ? J’ai Dieu sait combien d’agents à ma disposition et je ne sais pas où les envoyer. La totalité des sénateurs et la moitié du putain de Congrès me harcèlent au téléphone toutes les heures. Je leur explique ce qu’on fait. Je leur dis qu’on écoute ce type, qu’on analyse chacune de ses paroles à la recherche du moindre tuyau sur l’endroit où il pourrait garder la fille. J’ai des agents qui passent en revue les registres de cartes grises pour essayer de trouver une trace de cette voiture et savoir où elle a été pendant toutes ces années. Merde, j’ai des gens qui analysent toutes les empreintes digitales de chaque cabine téléphonique qu’il a utilisée, d’autres qui passent ses vêtements et ses chaussures au crible à la recherche de fibres et d’échantillons de poussière. Je fais absolument tout ce que je peux et, à l’heure où nous parlons, j’ai que dalle.

— Faut que je sorte, j’ai besoin d’air frais, déclara Hartmann en se levant. C’est OK ?

— Bien sûr, répondit Schaeffer. Demandez un pager à Kubis pour qu’on puisse vous appeler au besoin. Je ne vois pas trop ce que vous pouvez faire d’ici demain. »

Schaeffer s’écarta de la porte pour le laisser passer. Hartmann alla voir Lester Kubis, qui lui donna un pager et vérifia qu’il fonctionnait.

Hartmann salua Ross d’un geste de la tête en partant et, lorsqu’il franchit la porte et se retrouva dans Arsenault Street, il fut surpris par la limpidité du ciel bleu et la chaleur du soleil. Il y avait une nette différence entre ici et New York, une différence qui lui avait dans une certaine mesure manqué, même s’il avait conscience de tout ce que La Nouvelle-Orléans représentait. Il pensa à Danny, ce qui le ramena à Jess, puis à Carol et à leur rendez-vous de samedi. Pour le moment, ce n’était pas un problème. Cette affaire pouvait s’achever le lendemain, peut-être le surlendemain, et il décida de ne pas s’en faire jusqu’à vendredi soir. On était dimanche soir. Il lui restait cinq jours pour entendre ce que Perez avait à dire.

Ray Hartmann marcha sans but, juste histoire de se dégourdir les jambes. Il tourna à gauche au bout d’Arsenault et se dirigea vers le centre-ville. Il regardait les façades de bâtiments qu’il n’avait pas vus depuis le début de 1988, près de quinze ans plus tôt. Ça a changé, pensa-t-il. Mais plus les choses changent, plus elles restent les mêmes.

Il continua de marcher, tentant de ne penser à rien de particulier, et sans avoir prémédité son coup, il se retrouva devant le commissariat où travaillait Verlaine. Il gravit les marches et franchit les doubles portes. Tout était calme à l’intérieur. Tout semblait immobile. Le sergent de service ne leva même pas le nez de sa paperasse, et Hartmann dut marcher jusqu’au guichet et s’éclaircir la voix pour attirer son attention.

Le sergent, que son badge couleur cuivre identifiait comme un certain Walter Gerritty, leva la tête, jeta un coup d’oeil pardessus ses lunettes à monture d’écaillé et arqua les sourcils d’un air interrogateur.

« Je cherche John Verlaine, annonça Hartmann.

— Et je suppose que vous n’êtes pas le seul, répliqua Gerritty. Qui êtes-vous ?

— Ray Hartmann... enquêteur spécial Ray Hartmann. » Gerritty acquiesça avec componction.

« Ce qui signifie que vous êtes quelqu’un de spécial, ou que vous enquêtez sur des choses spéciales ? » Hartmann sourit ; ce type était un malin. « Les deux, naturellement, répondit Hartmann.

— Ça me va », fit Gerritty et il attrapa le téléphone posé au bord de son bureau.

Il composa un numéro, attendit une seconde, puis annonça : « Vous avez un problème qui vous attend dans le hall. » Il raccrocha sans attendre de réponse. « Il sera là dans un moment. »

Gerritty retourna à sa paperasse.

Hartmann s’écarta d’un pas du guichet. L’agent regarda une nouvelle fois par-dessus ses lunettes et le dévisagea. « Un problème ? » demanda-t-il. Hartmann fit signe que non.

« Bien », dit Gerritty et il baissa une fois de plus la tête et se mit à écrire sur la feuille posée devant lui.

Verlaine apparut une minute plus tard, peut-être moins. Gerritty le regarda descendre l’escalier.

« Je suppose que ça doit être un mari jaloux, non ? demanda-t-il à Verlaine.

— Vous êtes un connard de premier ordre, Gerritty, observa celui-ci avec un sourire.

— Faut bien être quelque chose, répliqua Gerritty, et je fais de mon mieux pour être à la hauteur. »

Verlaine se tourna vers Hartmann. Il sembla avoir un moment d’hésitation, puis il atteignit le bas des marches et se dirigea main tendue vers Hartmann.

« Monsieur Hartmann. Ravi de vous voir. »

Hartmann lui serra la main.

« Moi de même, dit-il. Je me demandais si vous auriez un moment de libre. Si vous êtes occupé, nous pourrions nous voir plus tard.

— Pas de problème. Je finis mon service dans un peu moins d’une heure.

— Je croyais que vous aviez fini votre service une demi-heure après être arrivé, lança Gerritty.

— Gros malin, rétorqua Verlaine, puis il se retourna et s’engagea dans l’escalier. Suivez-moi, dit-il à l’intention de Hartmann. Mon bureau est à l’étage. »

Hartmann suivit Verlaine jusqu’en haut des marches, puis ils tournèrent à gauche. Trois portes plus loin, ils pénétrèrent dans une pièce étroite dotée d’une petite fenêtre. Il y avait à peine assez de place pour le bureau et deux chaises. Contre le mur se dressait un meuble de rangement avec trois tiroirs, positionné de telle sorte qu’il empêchait l’ouverture complète de la porte.

« Ils m’ont refilé le plus petit bureau de tout le bâtiment... Un jour, j’espère être promu et avoir le placard à balais. »

Hartmann sourit et s’assit.

« Vous voulez du café ou quelque chose ? demanda Verlaine.

— Il est bon ?

— Dégueulasse... on dirait de la pisse de raton laveur avec de la mélasse.

— Une autre fois si ça ne vous ennuie pas », dit Hartmann. Verlaine contourna son bureau et s’assit face à Hartmann.

Une brise fraîche s’insinuait par la fenêtre entrouverte telle une intruse. Le soir approchait, ce dont Hartmann était heureux. La nuit, il y avait moins de souvenirs, moins de choses qu’il reconnaissait. Une fois la nuit tombée, il pourrait se retirer du monde, regagner sa chambre d’hôtel et regarder la télé en faisant comme s’il était de retour à New York.

« Alors, que puis-je pour vous ? demanda Verlaine.

— Je ne suis pas sûr que vous puissiez quoi que ce soit de spécifique, répondit Hartmann. Nous tenons le type, vous savez ?

— C’est ce que j’ai cru comprendre. Comment est-il ?

— Vieux. La soixantaine bien sonnée, il adore s’entendre parler. J’ai passé près de deux jours à l’écouter et je n’ai toujours pas la moindre idée de pourquoi il a enlevé la fille ni de l’endroit où elle est.

— Et vous avez la moitié du FBI qui vous colle comme une sangsue.

— M’en parlez pas.

— Pourquoi vous ? demanda Verlaine. Vous avez un lien avec ce type ?

— Aucune idée, répondit Hartmann en secouant la tête, vraiment aucune idée.

— Et je suppose que ça vous fait super plaisir.

— Vous pouvez le dire.

— Alors, qu’est-ce qui se passe maintenant ?

— Entre nous ?

— Pas un mot ne franchira cette porte.

— Il est ici... il a l’air de vouloir nous raconter sa vie. Nous écoutons, nous prenons des notes, nous enregistrons, nous avons trois douzaines de profileurs criminels qui suent sang et eau à Quantico, Dieu sait combien d’agents ici qui ratissent une zone de plus en plus large, et nous prenons les choses comme elles viennent.

— Alors, pourquoi venir me voir ? Vous vous sentez seul à La Nouvelle-Orléans ? »

Hartmann sourit et secoua la tête.

« Vous avez été le premier sur l’affaire. Ça fait quelques années que vous êtes ici, exact ?

— Ici à La Nouvelle-Orléans, ou dans la police ?

— Dans la police.

— Onze ans, répondit Verlaine. Onze ans en tout, trois et demi aux moeurs, les deux dernières années à la criminelle.

— Vous n’êtes pas marié ?

— Non, et je ne l’ai jamais été. J’ai un frère et une soeur, mais ils ne sont pas franchement sociables... La fin d’une putain de dynastie, voilà ce que je suis. »

Hartmann se tourna vers la fenêtre et regarda le bâtiment de la cour fédérale, au sud, derrière Lafayette Square.

« La chose que je n’arrive pas à m’ôter de la tête, c’est le rapport avec Feraud, dit-il. Je ne peux pas m’empêcher de croire que Feraud en sait beaucoup plus que ce qu’il veut bien dire.

— Je n’en doute pas, consentit Verlaine.

— Et qu’est-ce qu’il a dit quand vous êtes allé le voir ? Je sais que vous me l’avez déjà dit, mais dites-le-moi une fois de plus. »

Verlaine ouvrit le tiroir de droite de son bureau. Il en tira un carnet et parcourut plusieurs pages jusqu’à trouver celle qu’il cherchait.

« J’ai pris des notes, expliqua-t-il. Balancez-moi aux fédéraux si vous voulez, mais il y a quelque chose dans ce qu’a dit Feraud qui m’a vraiment turlupiné. Pourquoi, je n’en sais rien, mais après vous en avoir parlé, j’ai éprouvé le besoin de me rappeler clairement ce qu’il avait dit, alors je l’ai noté du mieux que j’ai pu. » Verlaine se pencha en arrière et s’éclaircit la voix. « Il a dit que j’avais un problème. Il a dit que j’avais un sérieux problème et qu’il ne pouvait rien faire pour m’aider. Il a dit que l’homme que je cherchais ne venait pas d’ici, je suppose qu’il parlait de La Nouvelle-Orléans, qu’il avait jadis été l’un des nôtres, mais qu’il ne l’était plus depuis de nombreuses années. Feraud a affirmé que cet homme venait de l’extérieur et qu’il apporterait avec lui une chose suffisamment grande pour nous avaler tous. »

Verlaine leva les yeux vers Hartmann. Ce dernier resta silencieux.

« Feraud a ajouté que je ferais mieux de m’éloigner et de pas mettre mon nez là-dedans.

— Et il n’a pas parlé de l’enlèvement, ni de la constellation des Gémeaux... il n’a pas évoqué ces sujets ?

— Je n’ai pas demandé, répondit Verlaine en secouant la tête, et il n’a rien dit de lui-même. Feraud n’est pas le genre d’homme à qui on arrache des réponses.

— Je n’ai pas mis les pieds ici depuis quinze ans, mais je connais la réputation du bonhomme.

— Ça s’est arrêté là. Il a dit ce qu’il avait à dire et je suis reparti. »

Hartmann se pencha en avant et regarda Verlaine droit dans les yeux.

« Je veux retourner le voir. »

Verlaine éclata soudain d’un rire forcé.

« Vous déconnez, pas vrai ?

— Je veux aller là-bas et lui parler... je veux découvrir ce qu’il sait. Je veux voir s’il connaît cet homme, voir si on pourrait le pousser à nous en dire un peu plus.

— Et compromettre la totalité de l’enquête fédérale ?

— Ça, oui... j’y ai songé, mais quoi qu’il en soit, il est pour le moment la seule personne qui semble comprendre un tant soit peu qui est cet homme et ce qu’il a pu faire.

— Je respecte vos cojones, mais pas la peine de chercher à me mêler à ça, déclara Verlaine, visiblement nerveux, agité.

— Je n’arriverai pas à m’approcher de lui sans vous, répliqua Hartmann.

— Alors, vous ne vous approcherez pas de lui, rétorqua Verlaine, parce que je peux vous assurer que vous ne m’entraînerez pas là-dedans. C’est une enquête fédérale, nom de Dieu ! Vous avez vu combien d’agents ont débarqué ici ? Il s’agit de Catherine Ducane, la fille du gouverneur de Louisiane, et vous voulez aller faire quelque chose qui pourrait faire capoter toute l’opération ? »

Hartmann secoua lentement la tête.

« Il n’y a pas d’opération. Ils ont un sacré paquet d’hommes et de moyens. Ils ont des radios, des magnétophones, des experts en reconnaissance vocale, des profileurs criminels, mais le fait est qu’ils n’ont pas le moindre plan. Ils attendent, dans l’espoir que Perez dira quelque chose qui leur fournira un indice sur l’endroit où se trouve la fille. »

Verlaine demeura un moment silencieux.

« C’est ça, son nom... au vieux ? Perez ?

— Ernesto Perez, acquiesça Hartmann.

— Qu’est-ce que c’est ? Espagnol ou mexicain ou quelque chose du genre ?

— Cubain... il est originaire de Cuba.

— Mafia ? »

Hartmann jeta un coup d’oeil en direction de la fenêtre. Il en disait trop et il le savait.

« Indirectement, oui... des liens avec la mafia à Cuba.

— Et il est juste là à vous déballer toute sa vie, comme s’il écrivait son autobiographie ?

— Oui, ça y ressemble, répondit Hartmann. Il jacasse comme une pie.

— Et pour le moment il ne vous a rien dit des mobiles de l’enlèvement ni de l’endroit où il a caché la fille ?

— Ni si elle est toujours en vie, ajouta Hartmann. Il m’a défié quand je lui ai parlé. Il a évoqué une certaine règle de trois.

— Air, eau, nourriture, exact ?

— Exact. Il a laissé entendre qu’elle n’avait pas de nourriture et que, chaque fois que je perdais du temps à lui parler, je mettais directement sa vie en danger.

— Vous le croyez ? Vous pensez qu’il la retient quelque part et qu’elle est en train de mourir de faim ?

— Allez savoir... Je ne sais plus que croire. Il sait ce qu’il fait et il est de toute évidence très organisé. En dépit de tous les moyens déployés par le gouvernement fédéral, nous ne sommes toujours pas plus avancés.

— Cette affaire signifie quelque chose pour vous », déclara Verlaine après un bref moment de silence.

Ce n’était pas une question, plutôt une simple affirmation. Hartmann regarda Verlaine en fronçant les sourcils d’un air interrogateur.

« Quelque chose de personnel, reprit Verlaine. J’ai le sentiment que cette affaire vous touche personnellement.

— Si c’est personnel, ça ne regarde personne d’autre, rétorqua Hartmann.

— Je comprends, fit le policier en souriant, mais ce que vous me demandez de faire me touche aussi personnellement.

— Vous... comment ça ?

— Le fait que j’aie peut-être envie de vivre encore un peu. Feraud n’est pas le genre d’homme qu’on contrarie. Ce n’est pas le genre d’homme qu’on ignore. Il m’a demandé de ne pas me mêler à ça, de ne pas y mettre mon nez et de ne plus jamais lui en reparler.

— Et vous allez faire ce qu’il dit ? » demanda Hartmann d’un ton plein de défi.

Verlaine sourit et secoua la tête.

« Ne jouez pas au con avec moi... répliqua-t-il. Si vous voulez embobiner quelqu’un, faites-le avec les fédés. J’ai mieux à foutre que de me mêler de ce qui ne me regarde pas. »

Hartmann ne savait que répondre. Il regardait l’homme qui lui faisait face, le seul homme qui aurait peut-être pu être son allié, et il s’apercevait que s’il voulait que celui-ci l’aide à se tirer de cette situation dans laquelle il était empêtré, il allait devoir dire la vérité.

» Vous voulez savoir pourquoi je veux trouver une issue à cette affaire ?

— Allez-y, et si vous arrivez à me convaincre, j’envisagerai peut-être de vous donner un coup de main. »

Hartmann se sentait sur le point de craquer. Il s’apercevait qu’il était épuisé, au bout du rouleau, et que, malgré tout ce qui était arrivé, tout ce qu’il avait entendu de la bouche de Perez, la seule chose qui le préoccupait était de savoir ce qui se passerait s’il manquait son rendez-vous du samedi avec Carol et Jess.

Aussi, comprenant qu’il n’avait pas d’autre solution, expliqua-t-il la situation à Verlaine.

Celui-ci l’écouta, sans l’interrompre, sans poser de questions, et lorsque Hartmann eut fini, Verlaine s’adossa à sa chaise et croisa les bras derrière sa tête.

» Donc, vous êtes dans la merde jusqu’au cou et vous avez besoin que je vous tire d’affaire ?

— Dans la merde à cause de cet enlèvement, consentit Hartmann, à cause de mes soucis avec ma femme et ma fille, à cause de mon putain de boulot et de tout ce qui a un peu d’importance à mes yeux. Je dois rester jusqu’à ce que cette affaire soit réglée. Je dois rester, mais d’un côté, je ne dois rien précipiter, et de l’autre, ce qui se passe avec ma femme et ma fille me préoccupe sacrement plus que le sort de Catherine Ducane. Je veux que cette affaire soit résolue, je veux retrouver cette fille en bonne santé, mais il faut que je retourne à New York et que je voie ma femme avant qu’elle ne fasse définitivement une croix sur moi. »

Verlaine demeura un moment silencieux. Il regardait le mur au-dessus de la tête de Hartmann et semblait complètement perdu. Hartmann sentait son coeur battre dans sa poitrine. Verlaine secoua lentement la tête et posa les yeux sur Hartmann.

« Si je me fais buter à cause de vous, je serai tellement furax que vous en reviendrez pas. »

Hartmann sourit.

« Vous êtes avant tout un flic, John Verlaine, et je sais que même si vous avez peut-être envie de m’aider, ce que vous voulez par-dessus tout, c’est mettre la main sur ces salopards, pas vrai ?

— Pas juste leur mettre la main dessus, répliqua-t-il avec un sourire. J’espère bien avoir aussi l’occasion de buter quelques-uns de ces enfoirés. »

Hartmann s’esclaffa.

« Alors, vous allez le faire ? demanda-t-il.

— Malgré mon intuition, malgré la certitude que c’est une erreur et que j’enfreins tous les putains de règlements... oui, je vais le faire. »

Hartmann, au lieu d’éprouver du soulagement, se sentit tenaillé par une sorte de peur. Qu’est-ce qu’il fabriquait ? Qu’est-ce qu’il s’imaginait qui allait se passer quand il irait voir Antoine Feraud ? Il se rappela le motif de sa décision, et même si ça ne diminuait en rien son appréhension, ça lui permit au moins de se concentrer sur ses objectifs. Son intention était de régler cette affaire au plus vite, de trouver la fille, d’envoyer le ravisseur derrière les barreaux, de mettre les voiles pour New York et de sauver ce qui pouvait l’être de son mariage et de sa vie. « Demain soir ? demanda Hartmann.

— Demain soir, acquiesça Verlaine.

— Quelle heure ?

— Venez à 18 heures... on verra ce qu’on peut faire. »

Plus tard, à l’hôtel Marriott, Hartmann regardait la télé. Il avait monté le volume histoire de noyer ses pensées. Il savait bien qu’il ne pouvait pas prévoir toutes les conséquences de ses actes, mais il croyait à l’équilibre inhérent de l’univers : il lui suffisait d’aborder une chose avec de bonnes intentions pour que le vent tourne en sa faveur. S’il avait suffisamment cru à l’existence de Dieu, il aurait prié. Mais il avait beaucoup trop fréquenté les bas-fonds de l’humanité pour considérer qu’il y avait là-haut quelqu’un qui assumerait la moindre responsabilité pour ce qui se passait ici-bas.

Quelques heures passèrent, et alors que minuit sonnait, Hartmann s’endormit tout habillé. Il rêva de Carol et Jess, de Danny et lui courant à travers les rues de La Nouvelle-Orléans ; il rêva qu’il prenait la mer dans un bateau de papier assez grand pour deux, un bateau aux voiles calfatées avec de la cire et du beurre, leurs poches pleines de pièces de cinq et dix cents et de pièces d’un dollar à l’effigie de Susan B. Anthony...

Il rêva de ces choses, mais dans les recoins obscurs de son esprit, il voyait aussi un homme gisant dans une mare de sang dans le bungalow d’un motel de La Havane.

Lundi matin, le premier jour de septembre. L’automne naissant, et bientôt le vent serait froid, les feuilles jauniraient, et l’hiver gagnerait progressivement jusqu’à cette partie du pays.

Hartmann arriva au bureau du FBI avec une bonne demi-heure d’avance. La tension était si forte qu’on pouvait presque la percevoir depuis la rue. Ils avaient tous conscience du fait qu’ils étaient réunis simplement parce que Perez avait enlevé Catherine Ducane et ils savaient pertinemment qu’il leur faisait peut-être perdre leur temps. La fille pouvait être déjà morte.

« Nous avons du neuf sur ce Pietro Silvino », annonça Schaeffer.

Hartmann était pour sa part déjà convaincu que Perez ne leur exposait ni plus ni moins que les faits tels qu’il les connaissait. Il se disait que le vieil homme était ici pour sa propre catharsis, pour purifier et absoudre sa conscience. Il ne voyait pas à quoi mentir aurait pu lui servir.

« Retrouvé mort dans une chambre de motel à La Havane en février 1960, poursuivit Schaeffer. Personne n’a jamais été inculpé ni condamné pour ce meurtre. »

Woodroffe acquiesça lentement.

« J’ai l’impression qu’il va y en avoir un paquet d’autres du même genre, déclara-t-il. Il a commencé depuis le début et nous allons devoir l’écouter jusqu’au bout avant d’avoir la moindre idée de ce qu’il a fait de Catherine Ducane.

— Et tout ça pour quoi ? s’écria Schaeffer, visiblement furieux. Pour découvrir que la fille est morte dans la demi-heure qui a suivi son enlèvement ?

— Tu ne peux pas te dire ça », répliqua Woodroffe.

Mais Hartmann devina au ton de sa voix que Woodroffe aussi se l’était dit. Ils étaient tous passés par là. C’était inévitable. Ils ne savaient absolument pas à qui ils avaient affaire et n’avaient aucune idée de la tournure que prendraient les événements.

« Je vais vous dire quelque chose... », commença Hartmann avant d’être interrompu par une soudaine agitation derrière eux. Ils regardèrent à travers l’espace sans cloison du bureau et aperçurent les premiers agents du FBI chargés d’escorter Perez. « Bon, on va voir ce qu’il a à raconter aujourd’hui », déclara Hartmann, avant de se retourner et de se diriger vers le petit bureau à l’arrière du bâtiment.

Perez avait la mine sombre lorsqu’il s’assit. Il regarda Hartmann sans prononcer un mot, saisit un gobelet de polystyrène et un pichet sur le chariot et se servit de l’eau. Il but lentement comme pour étancher sa soif, puis il posa le gobelet sur la table et se pencha en arrière.

« Les choses sont différentes maintenant, commença-t-il. Quand vous vivez cette vie, vous agissez dans le feu de l’action, et ce n’est que lorsque vous en parlez que vous éprouvez quelque chose. Je n’avais jamais parlé de ces choses jusqu’alors et, maintenant que je les entends, je commence à comprendre que j’aurais pu faire tant de choix, emprunter tant de directions.

— N’en va-t-il pas de même pour nous tous ? » demanda Hartmann, pensant à la fois à son propre frère, à Carol et à Jess.

Perez sourit. Il prit une profonde inspiration puis soupira lentement.

« Je crois que je suis fatigué. Je crois que je suis vieux et fatigué, et que je serai soulagé quand tout ça se terminera.

— Nous pourrions y mettre un terme maintenant, suggéra Hartmann. Vous pourriez nous dire où vous avez caché Catherine Ducane et, après, vous auriez tout le temps que vous voulez pour vous confesser. »

Perez s’esclaffa.

« Me confesser ? Croyez-vous que c’est ce que je fais, monsieur Hartmann ? Vous croyez que je suis venu me confesser à vous comme à un prêtre ? » Il secoua la tête. « Ce n’est pas moi le pénitent, monsieur Hartmann. Je ne suis pas venu pour raconter au monde mes propres péchés, mais ceux des autres.

— Je ne comprends pas, monsieur Perez, répliqua Hartmann en plissant les yeux d’un air interrogateur.

— Bientôt, monsieur Hartmann, bientôt. Chaque chose en son temps.

— Mais ne voulez-vous pas nous dire de combien de temps nous disposons ?

— Vous disposerez du temps que je serai prêt à vous accorder, répliqua Perez.

— C’est tout ce que vous avez à dire ?

— C’est tout.

— Vous comprenez l’importance de la vie de cette jeune fille ?

— C’est mon seul moyen de pression, monsieur Hartmann, répondit Perez en souriant. Si j’avais enlevé une serveuse de restaurant, vous et moi ne serions pas dans cette pièce. Je sais qui est Catherine Ducane. Je n’ai pas agi au hasard... »

Perez s’interrompit. Hartmann leva les yeux.

« Elle est bien cachée, monsieur Hartmann. Vous la trouverez quand je l’aurai décidé. Là où elle est, personne ne l’entendra, même si elle hurle de toutes ses forces sans s’arrêter. Et si elle fait ça, elle n’arrivera qu’à s’épuiser et à diminuer son espérance de vie. La route est longue, monsieur Hartmann, et la jeune fille arrive déjà au bout. Nous jouerons donc ce jeu à ma manière. Nous suivrons mes règles... et peut-être, simplement peut-être, la jeune Ducane reverra-t-elle la lumière du jour. » Perez marqua une pause, puis il leva les yeux et sourit. « Alors, si nous reprenions ? »

Hartmann acquiesça et il referma une fois de plus la porte.

Vendetta
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